Par Firas KONDAKJI, sous la direction du Président de l’AISP/SPIA, Monsieur Laurent Attar-Bayrou.

Donald Trump, Benyamin Nétanyahou, Abdullatif Al-Zayani, et Abdullah Ben Zayed Al-Nahyane, mardi 15 septembre à la Maison Blanche. SAUL LOEB / AFP

Le 13 août dernier l’Israël et les Émirat Arabes Unies (EAU) ont déclaré leur volonté de normaliser leurs relations diplomatiques et économiques. Benyamin Netanyahou, le Premier ministre israélien s’est félicité d’une « paix entière et formelle » entre les deux États. Un mois après, le 15 septembre, l’EAU, le Bahreïn et l‘Israël se sont retrouvés à la Maison Blanche afin de conclure les accords d’Abraham qui vont venir normaliser les relations entre les deux monarchies du Golfe d’un côté, et l’Israël de l’autre. Dans ce cadre-là, le président Trump, dont l’administration a joué le rôle de médiateur, s’est vanté d’une « percée spectaculaire ». Ces accords ne s’inscrivent pas dans la politique traditionnelle dont les États de la Ligue Arabe ont mené avec leur voisin hébreu. Car, si l’Egypte et la Jordanie avaient conclu des accords de paix avec l ‘Israël – en 1979 et 1994 consécutivement, afin de tourner la page d’une histoire conflictuelle, le don n’est pas de tout partagé avec celui des EAU. La question demeure de savoir quels sont les motifs et les conséquences de cet Accord, dit ‘Abraham’ ?

Depuis sa création le 14 May 1948, l’histoire de l’État d’Israël avec ses voisins arabes les plus proches est celle de la guerre et de la paix froide. Bien que l’Israël ait rejoint un chemin pacifique avec l’Egypte et la Jordanie, cette paix n’a pas débouché à des relations réelles et concrètes entres les peuples de ces États. En effet, il s’agissait d’un armistice plutôt que d’une normalisation complète. Pourtant, les souhaits des nouveaux amis semblent être orienté vers des relations fortes à tous les niveaux. Sans pour autant négliger, d’une manière complète, le conflit palestinien.

Dans le cadre de cet accord, les émiratis se félicitent d’avoir arrêté l’Etat d’Israël d’annexer des grandes parties de la Cisjordanie en Palestine. Pourtant, le Premier ministre israélien a tenu un propos plus aligné avec les aspirations de ses partisans d’extrême droite en disant que l’annexion a été seulement « reportée », mais « pas renoncée ».[i] Par conséquent, les Palestiniens se sont sentis trahis par cette initiative politique qui peut détrôner leur cause de sa place en tant que la « cause centrale » des États de la Ligue Arabes. Or, malgré les propos de Netanyahou, le Ministre d’État aux Affaires Étrangère Anwar Gargash s’est rassuré en disant  qu’il faut différencier entre « les engagements d’un État et les annonces politiques ».[ii] D’autre part, l’homme fort de l’EAU, le prince héritier Mohammed Ben Zayed, autrement connu sous ses initiales MBZ, a déclaré que si l’État d’Israël ne respectait pas ces engagements d’arrêter l’annexion de Cisjordanie, les émiratis seront prêts à se retirer de l’accord.[iii] Une déclaration dont les conséquences sont énormes sur les relations futures entre les deux pays vu l’engagement de Netanyahou d’annexer ces territoires. Une occasion importante à saisir avant la fin du mandat de Trump en novembre.

Pour certains observateurs, cet accord n’est pas toutefois une surprise et ne s’inscrit pas dans une volonté de résoudre le conflit israélo-palestinien. En effet, Les relations entre l’EAU et l’Israël existent d’ores et déjà par la suite des accords d’Oslo en 1993.[iv] Bien qu’il ne s’agit pas de relations d’État de haut niveau, les deux pays ont coopéré dans plusieurs domaines dont le domaine du renseignement. En effet, une vidéo a inondé les médias mis février 2019 concernant une réunion entre les Ministres des Affaires Étrangères d’Israël, les Émirats Arabes Unis, l’Arabie Saoudite et deux autres États des pays du Golf. Le but n’était pas de s’entendre sur la meilleure façon de résoudre le dilemme Palestinien, comme ils étaient absents, mais de réfléchir sur comment faire face à l’ennemie en commun qui est l’Iran. Cela s’inscrit dans la politique des États du Golfe qui voient l’Iran, et non pas l’Israël, comme la première menace pour leurs intérêts. Un point de vue qui est partagé avec l’Israël puisque l’héritier de l’Empire Perse ne cesse de s’exprimer sa volonté d’anéantir « l’entité sioniste ». l’Iran qui a déjà qualifié cet accord de « stupidité stratégique ».[v] Par la suite du ledit réunion, l’ancien conseiller de la Sécurité Nationale de Netanyahou Dore Gold a précisé qu’une « Coopération de différentes manières et à différents niveaux n’est pas nécessairement  visible au-dessus de la surface, mais ce qui se trouve sous la surface est bien plus grand qu’à toute autre période ».[vi] A cela s’ajoute de faire face aux aspirations de la Turquie, le parrain des Frères Musulmans dans la région qui sont l’ennemie féroce de MBZ. Donc, l’accord conclu n’est pas forcément orienté de faire la paix, mais afin de faire face et contenir les adversaires en commun des trois pays signataires de l’accord qui sont les grandes puissances expansionnistes de l’Iran et de la Turquie et leurs agents dans la région. En plus, cet accord ne prévoit aucun moyen de pression sur l’Israël afin de mettre fin à leur conflit avec les Palestiniens, à part la vague phrase qui précise que les deux États sont engagés à travailler ensemble « pour parvenir à une solution négociée au conflit israélo-palestinien qui réponde aux besoins et aux aspirations légitimes des deux peuples, et pour faire progresser la paix, la stabilité et la prospérité globales au Moyen-Orient ».[vii]

Or, les intérêts économiques restent l’intérêt majeur de ces accords. En lisant les termes de ces accords, les signataires ont accordé une importance majeure à leurs futures relations économiques puisqu’ils ont presque couvert tous les aspects de la vie économique. Tels que la finance, tourisme, et aviation civile. Rappelons qu’il y a un fort intérêt pour l’EAU et le Bahreïn de nouer des liens avec le ‘Tech-Hub’ de moyen orient qui est l’Israël. En effet, l’Israël est une puissance non-négligeable dans les domaines de cyber-technologie, elle possède des capacités qui peuvent servir ces monarchies obnubilées par un étalement du dit ‘printemps arabe’ sur leurs territoires. Surtout le Bahreïn où il a fallu une intervention régionale de ses voisins afin de terminer la mobilisation de la population chiite, majoritaire, sur son territoire en 2011. Cette volonté de nouer des relations économiques étroites s’inscrit dans l’aspiration de MBZ de faire de l’EAU un « acteur globale » dans la région.[viii] Cela nécessite forcément que ce royaume qui donne sur le stratégique détroit d’Hormuz de briser le consensus arabe qui a été fait en 2002 sous l’initiative du prince héritier saoudien à l’époque le roi Abdullah. En Effet, MBZ semble de complètement laisser derrière lui le « Plan Abdullah » qui établit un consensus arabe concernant la normalisation des relations avec l’État d’Israël.[ix] Ce plan a déclaré qu’une fin de conflit et une paix avec l’Israël ne seront envisagées entre les États de la Ligue Arabe et l’Israël que dans le cas d’un  « retrait complet des territoires arabes occupés, y compris les hauteurs du Golan syrien, jusqu’à la ligne du 4 juin 1967 et des territoires toujours occupés au sud du Liban ».[x] Cela étant, les émiratis cherchent à percer leur propre politique étrangère extérieure tout en se distinguant de la politique des États de la Ligue Arabe.[xi] En plus, l’intérêt d’Israël étant de lier son économie avec un grand centre d’investissement mondiale comme l’EAU. Pourtant, il craint que cet accord ne se livre pas à des résultats prometteurs, puisque les relations des États arabes qui ont déjà conclue des accords de paix avec l’Israël restent froides et très faibles au niveau économique.

Il est vrai qu’il n’est pas évident que ces relations vont aboutir à des relations entres les populations des deux pays. Rappelons qu’il y a des relations politiques au niveau d’États entre l’Israël et l’Egypte et la Jordanie, mais les relation culturelles et économiques sont très faibles. Pourtant, le contexte dans lequel se trouvent les Emirats est diffèrent de celui de ses homologues arabes. En effet, les Emirats n’ont jamais été engagés en guerre avec l’État d’Israël et disposent un nombre de population beaucoup moins important, ce qui pourrait rendre les relations plus abordables entre les deux nouveaux amis. A cela s’ajoute ce que Gargash a rappelé sur l’histoire de ces deux pays. Selon le dernier : « nous n’avons pas de frontières avec Israël, nous n’avons pas de colonies israéliennes ni de réfugiés. Cela  ne peut être que  plus constructif pour atteindre la paix. Nous voyons donc cette normalisation comme une paix chaude entre nos deux pays ». Ces paroles s’inscrivent dans une réalité politique dure qui frappe, sans aucun doute, les Palestiniens qui se voient comme abandonnés par leurs confrères arabes. Pourtant, une telle normalisation peut-il être généralisée sur l’ensemble des État Arabes ?

Ces accords de paix nécessitent d’anticiper la réaction de l’un des acteurs les plus importants dans la politique des États Arabes vers l’Israël, il s’agit de l’Arabie Saoudite. Quand il a été demandé de s’exprimer sur l’avis de l’Arabie sur ce sujet, Gargash a déclaré qu’aucune consultation a été faite avec les pays arabes afin d’éviter de les « embarrasser ». En disant ainsi, Gargash souhaite indiquer que l’Arabie Saoudite n’était pas au courant de ces accords. En effet il s’est exprimé que la décision de l’Arabie Saoudite dans ce sens est « souverain », tout en indiquant que les médias saoudiens ont beaucoup soutenu les émiratis dans leur initiative. « Nous avons agi pour nous-mêmes et ne sommes un modèle pour personne » a-t-il ajouté.[xii] Pourtant, le petit royaume de Bahreïn est dépendant de son grand frère saoudien, et il semble aberrant de dire que les saoudiens n’étaient pas au courant, voire supporteurs, de cette normalisation. Cela s’oppose que la normalisation des relations entre le gardien des lieux sacrés de l’Islam et l’Israël s’achèverait tôt ou tard. Or, un mois après ces accords, l’Israël a annoncé le mercredi 14 octobre «la construction de 2 166 logements dans des colonies en Cisjordanie. Cela pose la question de savoir comment les nouveaux faiseurs de paix, l’EAU et le Bahreïn, vont réagir. Or, en ce qui concerne la paix et la vie des palestiniens dans leurs territoires occupés, leur avenir reste inévident tant que l’Israël se sent en toute liberté de violer leurs droit et le droit international en plantant ces colonies.

[i] Par Marie Boyer et Stéphane Amar, correspondant en Israël Le 14 août 2020 à 15h00, et Modifié Le 15 Août 2020 À 07h26, « Cinq minutes pour comprendre l’accord «historique» entre Israël et les Emirats arabes unis », leparisien.fr, 14 août 2020, https://www.leparisien.fr/international/cinq-minutes-pour-comprendre-l-accord-historique-entre-israel-et-les-emirats-arabes-unis-14-08-2020-8367912.php.

[ii] Armin Arefi, « Anwar Gargash : « Face à Israël, la politique de la chaise vide n’a pas fonctionné » », Le Point, 15 septembre 2020, https://www.lepoint.fr/monde/anwar-gargash-une-paix-chaude-entre-les-emirats-arabes-unis-et-israel-15-09-2020-2391906_24.php.

[iii] Louis Imbert, « Rapprochement historique entre Israël et les Emirats arabes unis », Le Monde.fr, 14 août 2020, https://www.lemonde.fr/international/article/2020/08/14/l-accord-d-abraham-un-rapprochement-historique-entre-israel-et-les-emirats-arabes-unis_6048922_3210.html.

[iv] Amar, à 15h00, et À 07h26, « Cinq minutes pour comprendre l’accord «historique» entre Israël et les Emirats arabes unis ».

[v] Amar, à 15h00, et À 07h26.

[vi] Ian Black, « Why Israel is quietly cosying up to Gulf monarchies », the Guardian, 19 mars 2019.

[vii] T. O. I. staff, « Full Text of the ‘Treaty of Peace’ Signed by Israel and the United Arab Emirates », 16 September 2020, The Times of Israel édition, https://www.timesofisrael.com/full-text-of-the-treaty-of-peace-signed-by-israel-and-the-united-arab-emirates/.

[viii] Arefi, « Anwar Gargash ».

[ix] Imbert, « Rapprochement historique entre Israël et les Emirats arabes unis ».

[x] « Text: Beirut Declaration », 28 mars 2002, http://news.bbc.co.uk/2/hi/world/monitoring/media_reports/1899395.stm.

[xi] Michael Crowley, « Israel, U.A.E. and Bahrain Sign Accords, With an Eager Trump Playing Host », The New York Times, 15 September 2020, sect. U.S., https://www.nytimes.com/2020/09/15/us/politics/trump-israel-peace-emirates-bahrain.html.

[xii] Arefi, « Anwar Gargash ».