Est-ce que la Chine est puissante sur la planète ?

Établie le 1er octobre 1949, la République populaire de Chine est aujourd’hui un acteur incontournable de la mondialisation, en raison de sa position leader dans les flux économiques. Le pays le plus peuplé du monde, avec 1,4 milliard d’habitants, est l’un des 5 membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, dispose de l’arme nucléaire, ainsi que de la plus grande armée du monde en termes d’effectifs. La Chine souhaite devenir la prochaine grande puissance mondiale, au détriment des Etats-Unis, à l’aube du centenaire de la République populaire. Notons que la puissance d’un Etat se perçoit à travers différents vecteurs pouvant être économique, géopolitique, démographique, culturel, ou encore militaire, que la Chine semble réunir et ne cache plus aujourd’hui ses ambitions à l’échelle mondiale.  

Une phase de reconstruction mouvementée 

Nous pouvons trouver un point de départ à cette ambition à travers la lecture des événements historiques. En effet, l’Empire du Milieu a subi successivement les Guerres de l’Opium (1839-1842 et 1856-1860) qui ont révélé aux yeux du monde la faiblesse de la Chine, avec en point d’orgue l’incendie du palais de l’Empereur, ce qui a été vécu comme un véritable drame dans l’identité culturelle et militaire chinoise. Il s’en est suivi un siècle de crises politiques avec la fin de la dynastie Qing en 1912, la République de Chine est proclamée la même année, présidée par Su Yat-Sen. Il s’en est suivi une longue période de troubles avec l’ère des « seigneurs de la guerres », puis la guerre entre les nationalistes de Mao Zedong et les nationalistes de Tchang Kai-chek, souvent symbolisée par la longue marche. Cette guerre civile entre les deux grandes forces politiques est à mettre en parallèle avec l’invasion japonaise en Manchourie en 1931, puis une seconde invasion sur l’ensemble du territoire en 1937. Les conséquences de cette guerre sont toujours visibles actuellement avec le traumatisme des massacres de Nankin ou de « l’unité 731 ». Cependant, la République populaire de Chine est proclamée le 1er octobre 1949, avec à sa tête Mao Zedong, qui érige un Etat communiste avec la mise en place [NO3] de plans quinquennaux, le Grand bond en Avant et la révolution culturelle.

Il faut attendre la mort de Mao Zedong en 1976 pour que la Chine change de politique. Elle est alors un Etat vacillant, peu écouté sur la scène internationale, ayant de nombreux défis internes et structurels à résoudre. L’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping opère un changement dans la politique du pays, suivant l’idée « d’un pays, deux systèmes », alliant communisme et capitalisme, autrement dit une économie socialiste de marché. Cette dernière est alors plus accentuée sur les biens matériels, voit la création de « zones économiques spéciales » favorisant les investissements étrangers dont la plus connue est Shenzhen (la ville est passée en 35 ans d’un village de pêcheurs, à une métropole de 10 millions d’habitants, une des plus riches du pays). La Chine est ainsi devenue l’ « usine du monde », avec un taux de croissance variant entre 8 et 9% entre 1990 et 2000. Elle est, depuis 2014, la première puissance économique du monde ainsi que le premier exportateur mondial.

Une géopolitique active témoigne d’une volonté hégémonique en Asie de l’Est 

Cependant, la Chine ne souhaite pas seulement être un acteur économique, mais bel et bien une puissance mondiale, et n’hésite pas à mettre tous les moyens en œuvre pour parvenir à cet objectif. Sa géopolitique en est le point le plus représentatif, elle se place dans une logique de long-terme. La Chine renvoie aussi à une place dans l’Histoire et sa représentation d’elle-même, place qu’elle veut retrouver. Héritière d’une riche civilisation, d’une culture, mais aussi d’un traumatisme, elle tend à le rendre apophatique, et organise sa géopolitique autour de trois cercles structurés : le « luan », signifiant « vide » ou « chaos » mettant le point sur la nécessité d’un Etat fort et uni ; le « dingwei », le contrôle de l’espace régional, et le « hexie waijijao » ou « diplomatie harmonieuse », le développement de relations pacifiques mais fermes avec les Etats extérieurs. D’un point de vue géographique, la Chine se divise en deux principaux espaces : un heartland côtier où le cœur de la population se trouve et est tourné vers la mer, et une zone tampon continentale. La volonté affichée du parti communiste semble témoigner d’une volonté de développer une stratégie mixte, chose dont la Chine n’a jamais réussi à faire jusqu’alors.

La zone tampon continentale (Tibet, Mongolie intérieure, Xinjiang) est considérée comme une profondeur stratégique maîtrisée, disposant d’une double qualité, à la fois opérationnelle avec des portes d’entrées sur le territoire tenues, et énergétique puisque 30% des réserves pétrolières et 35% des réserves gazières se situent dans le Xinjiang, et des terres rares en Mongolie intérieure. L’objectif que poursuit le gouvernement chinois est le désenclavement de cet espace à partir du centre de production chinois, ce qui est appelé les « nouvelles routes de la soie ». Ce projet concerne plus de 60 pays qui seront desservis à travers l’installation de lignes ferroviaires traversant cet espace pour relier l’Europe, des routes traversant la Russie et l’Asie centrale, ou des routes maritimes avec l’achat de ports comme le Pyrée ou Gwadar. Cependant, la construction de ces routes se révèle être plus difficile que prévu d’un point de vue sécuritaire puisque la politique chinoise envers les Ouighours l’expose à du terrorisme, comme celle passant par le Pakistan. La Chine doit également prendre en compte la volonté de l’Inde qui souhaite créer les « routes du coton / de la liberté » pour concurrencer les navires chinois, notamment dans l’Océan Indien.

A côté de cet espace continental, la Chine développe son espace côtier. Historiquement, cet espace a souvent été négligé, même si l’amiral Zheng He avait exploré plusieurs espaces océaniques, la Chine s’est toujours tournée vers les terres, refusant de devenir une puissance amphibie. Aujourd’hui, la Chine rattrape son territoire et revendique un destin maritime. Cela passe par la construction de bases navales, la multiplication des chantiers [NO9]  maritimes, le fait que les 5 plus grands transporteurs maritimes chinois représentent 25% des conteneurs de la planète et que 2/3 des plus grands ports de la planète soient financés par des capitaux chinois à hauteur de 20% au moins. Les revendications chinoises découlent sur des tensions face à l’importance de la nouvelle priorité maritime de la Chine comme le laisse deviner les objectifs du Libre blanc chinois de 2015 qui souhaite couvrir à la fois  « la défense des mers proches » et la « protection des mers lointaines ». Cela vise une réelle capacité de projection en ne se limitant plus à l’étranger proche.

En effet, la Chine a, depuis plusieurs années, suivi une politique expansionniste en mer de Chine Méridionale, mettant en avant son ambition d’hégémonie régionale. Ainsi, l’arc « Japon, Corée du Sud, Taiwan, Philippines » n’est plus en mesure de contrer les assauts chinois, et trouve des alliés dans la région comme l’actuel gouvernement philippin, ce qui a pour conséquence le recul du giron américain dans la zone et la fin du « containment ».  La Chine revendique aussi les îles Spratlys, Paracels, et Senkaku, qui sont des îles à enjeux stratégiques permettant de contrôler le commerce maritime mondial. En Asie du Sud-Est, la Chine est le premier partenaire de l’ASEAN, avec 500 milliards de dollars en 2015. Le Laos et le Cambodge dépendent économiquement de la Chine.

Des ambitions mondiales illustrant l’ambition d’être un acteur incontournable sur la scène internationale

Nous voyons ainsi que le complexe obsidional et le traumatisme vécu chinois ont permis à la Chine de se désenclaver, et de devenir une puissance mondiale à travers le développement d’une zone tampon continentale et d’une zone côtière importante. Aujourd’hui, elle possède une véritable hégémonie régionale et s’inscrit dans une volonté de puissance mondiale, comme l’illustre sa percée sur l’ensemble des continents. En Afrique, la Chine s’est tournée vers un espace de désenclavement diplomatique, avec le premier sommet sino-africain en 2006, dont les principaux points sont l’absence d’ingérence, des exigences de bonne gouvernance, des aides financières qui font de l’Afrique le principal bénéficiaire de l’aide au développement chinois, et de nombreux investissements comme l’exemple du land-grabbing en témoigne. La Chine est de plus en plus présente en Amérique latine avec différents projets comme celui du canal au Nicaragua permettant de sortir de la mainmise américaine sur celui du Panama. En 2008, la Chine a publié un livre blanc sur sa politique sud-américaine dans il est explicitement mentionné que le commerce doit atteindre 500 milliards de dollars en 2025.

La Chine est en train de devenir une puissance mondiale, concurrençant les Etats-Unis, et souhaitant les détrôner. Face à cette volonté chinoise, les auteurs américains sont divisés sur la question. En effet, pour certains comme Allison, auteur du livre « Le piège de Thucydide », la Chine est la puissance montante tandis que les Etats-Unis sont la puissance en déclin relatif. A chaque fois que cette configuration a eu lieu dans l’histoire (16 fois), la puissance déclinante va vouloir stopper l’ascension de celui qui monte, et à l’inverse, l’ascendant souhaite accélérer le déclin de la puissance dominante précédente. Il existe seulement 4 cas de figure où la guerre a été évitée. Allison donne des recommandations qui prônent la modération, le tact pour trouver un nouvel équilibre mondial sans qu’il y ait de conflits. D’autres auteurs minimisent la montée en puissance de la Chine, comme Gordon Cheng, qui pense que d’ici 15 ou 20 ans, il y aura un effondrement chinois du fait d’un choc financier. D’autres pensent qu’on arrivera à un équilibre des forces sans conflit car la Chine serait plus pacifiste que ce que l’on pense. Le budget militaire de la Chine est de 152 milliards de dollars contre 700 milliards pour les Etats-Unis, mais ne comprend pas les coûts liés à l’importation de matériel, ni ceux liés à la dissuasion nucléaire.

Dans ce contexte, il est évident que la carte du monde sera redessinée, mais l’idée d’une guerre paraît peu probable en raison de la « vertu rationalisante de l’atome ».