Carlos Mesa (à gauche) et Evo Morales (à droite) – Source : www.infobae.com

La première et jusqu’à présent la seule présidence de l’historien Carlos Mesa a commencé le 17 octobre 2003 lorsque le président Gonzalo « Goni » Sánchez de Lozada, désigné le 30 juin 2002, a été contraint de démissionner. Mesa, qui en était à ce moment-là le vice-président, a alors repris les affaires du gouvernement. Les raisons qui ont conduit Goni à être expulsé de ses fonctions au cours de son second mandat découlent de la crise socio-économique de la Bolivie. L’Indice de Développement Humain (IDH) de la Bolivie se situe alors au taux le plus bas par rapport aux autres pays d’Amérique latine.

Dans ce contexte, les ajustements structurels néolibéraux et l’hyperinflation de la fin des années 1990 ont conduit à une réduction de 70 % du pouvoir d’achat. En outre, il y a eu une énorme inégalité sociale au cours de cette période, car les 10 % les plus riches de la population bolivienne représentaient près de 50 % des revenus. D’autre part, la guerre du gaz de 2003 a influencé le renversement du président Goni. La raison principale est que le président néolibéral voulait vendre le gaz bolivien aux Etats-Unis via le Chili.

La courte présidence de Carlos Mesa doit être placée dans ce contexte, puisqu’il n’a pas reconnu les revendications du bloc de gauche, connu sous le nom « Agenda d’octobre », concernant la nationalisation du gaz, la redistribution des territoires ou la convocation d’une assemblée constituante révolutionnaire dans le sillage de la guerre du gaz en 2003. Pour les populations autochtones, cet agenda était considéré comme une chance pour le progrès, mais avec le « sanctuaire de la privatisation » sous les yeux, Mesa a continué la politique néolibérale de Goni. Il a finalement dû démissionner, à son tour, le 6 juin 2005 en raison des manifestations croissantes.

Le socialisme communautaire d’Evo Morales

Suite à l’effondrement de l’administration Mesa, des élections anticipées ont eu lieu en décembre 2005, au cours desquelles l’ancien cultivateur de coca Evo Morales Ayma en est sorti victorieux. Le 18 décembre 2005, le président désigné a réalisé deux premières historiques avec son parti MAS (Movimento al Socialismo), fondé en 1999 : l’élection du premier président indigène bolivien et la première victoire électorale avec une majorité absolue de 54% au premier tour.

Le socialisme, ou plus précisément socialismo comunitario – le socialisme communautaire –, l’objectif à long terme du MAS, doit se construire progressivement, selon Garcia Linera, vice-président de Morales. Ce dernier présente en détail l’idéologie économique dans « SOCIALISMO COMUNITARIO. Un horizonte de época ».

Pour atteindre cet objectif, le MAS repose sur un modèle de développement marxiste qui s’écarte des principes néolibéraux des anciens gouvernements boliviens.

La première législature de Morales est à classer avant tout dans le contexte de cette orientation politique du MAS. Elle se caractérise par la nationalisation des secteurs des hydrocarbures, du pétrole et du gaz, qui a accéléré la croissance significative des exportations, principalement liées à ces matières premières, avec un record de 13 milliards USD en 2014, ainsi que l’adoption de la nouvelle constitution en 2009. L’économie bolivienne a globalement triplé sous le patronage du MAS, la pauvreté a diminué de moitié et la classe moyenne a augmenté de 10%.

Evo Morales, en route pour un quatrième mandat

Evo Morales, se considérant comme l’homme de la situation pour le poste suprême de l’Etat bolivien, présente sa candidature pour la cinquième fois consécutive. Il est important de rappeler que ce dernier ne fut pas élu lors de sa première candidature en 2002, car arrivé deuxième derrière Gonzalo Sánchez de Lozada.

Morales a adopté au cours de son premier mandat la nouvelle constitution – Constitución Política del Estado Plurinacional de Bolivia – laquelle priorise le concept autochtone du Buen Vivir visant les droits et l’autonomie des peuples autochtones. Il limite aussi dans la même constitution la réélection du président à deux mandats, comme l’article 168 de la constitution dispose :

Artículo 168.

El periodo de mandato de la Presidenta o del Presidente y de la Vicepresidenta o del Vicepresidente del Estado es de cinco años, y pueden ser reelectas o reelectos por una sola vez de manera continua.

Cependant, et contrairement à ce qu’il avait inscrit dans la constitution, le président d’origine autochtone a néanmoins participé aux élections présidentielles de 2015 pour un troisième mandat, au motif que cette constitution n’existait pas encore lorsqu’il a pris ses fonctions en 2006. Ainsi, Morales a bien été réélu pour un troisième mandat à 61% des voix, mais qui n’en est qu’un deuxième pour la constitution de 2009. Cette réélection de 2015, à l’origine d’une polémique nationale et internationale en raison du manque d’honnêteté de Morales, n’est rien en comparaison de celle qui est en train de naître aujourd’hui. En effet, le président Morales vise un quatrième mandat bafouant ainsi la voix du peuple qui s’était pourtant prononcée contre dans un référendum en 2016 concernant la réélection de Morales. A cela s’ajoute le fait que la Cour constitutionnelle de Bolivie a modifié en novembre 2017, sur requête du parti présidentiel MAS, la constitution de 2009. Cette décision fut pour beaucoup considérée comme un scandale, surtout dans les rangs de l’opposition qui, en se référant au référendum, manifeste son aversion envers la décision de la Cour constitutionnel avec les mots « Bolivia dijo no » – la Bolivie a dit non.

Evo Morales pour sa part a plaidé en faveur d’une réélection illimitée. Son argument est la garantie de la durabilité et le fait qu’il soit indispensable jusqu’en 2025, date à laquelle l’Agenda Patriótica doit être mis en œuvre. Ce dernier agenda incarne la réalité actuelle et future, divisée en 13 piliers sur lesquels construire une Bolivie digne et souveraine.

Le retour de l’ancien président Carlos Mesa

Carlos Mesa, d’autre part, a gouverné pendant son premier mandat en tant que Président sans parti, tout en étant respecté par la gauche comme par la droite. Cependant, il n’avait pas de pouvoir suffisant pour faire adopter des réformes fondamentales. En ce qui concerne les prochaines élections en octobre, il se porte candidat pour le parti FRI (Front Révolucionario de Izquierda). Il souhaite sauver ce dernier vieux parti de gauche qui est allié avec la droite néolibérale, et se présente pour cela comme un front contre le mouvement socialiste du MAS sous Evo Morales.

Une issue qui reste incertaine 

Figure 1 – Prévisions électorales de Mercados y Muestras april 2019

Les sondages actuels pour le premier tour des élections présidentielles montrent une convergence entre les principaux instituts de sondage : IPSOS et Mercados y Muestras. Les enquêtes menées par Mercados y Muestras pour le compte de Página SIETE par exemple ont montré qu’Evo Morales a, avec 34 % des voix, 6 points d’avance sur son seul concurrent « sérieux », Carlos Mesas. En décembre 2018, par contre, Mesa était encore 9 points devant le président Morales, ce qui démontre la fluctuation des sondages. Toutefois, en janvier 2019, l’ex-président a de nouveau perdu cet avantage et les deux candidats ont été crédités à 32% dans les intentions de vote.

Le fait que Carlos Mesa soit le seul candidat de taille à pouvoir contester le quatrième mandat d’Evo Morales est justifié dans les résultats de sondages des autres candidats potentiels. Jaime Paz Zamora, qui a récemment annoncé sa démission en raison de différences internes au PDC (Partido Demócrata Cristiano), Víctor Hugo Cárdenas, Félix Patzi et Virginio Lema ne sont pas crédités à plus de 5% des intentions de vote, selon les deux instituts mentionnés ci-dessus. Seul Oscar Ortiz parvient à dépasser légèrement cette marque dans les prévisions, comme on peut voir dans la figure 1.

Pour Evo Morales, une majorité absolue au premier tour de l’élection présidentielle ne sera certainement pas suffisant selon les prévisions actuelles. Il a donc besoin d’un partenaire de coalition pour former un gouvernement. Reste donc à savoir qui pourrait être ce partenaire, puisqu’il n’y a aucun autre parti de gauche suffisamment puissant en Bolivie à ce jour.

Étant donné qu’une proportion importante d’électeurs potentiels sont encore indécis quant à leur vote du 20 octobre – ce que l’on appelle les Indecisos dans la figure 1 –, le nombre de votes de Carlos Mesa pourrait également augmenter, ce qui, pour sa part, lui permettrait en fin de compte de former une majorité par le biais d’une coalition.

Rédaction : Yves Speich

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