Assessed Control of Terrain in Syria. Issu de « Iran Update », ISW Press, 10 Juin 2025

Le 8 décembre 2024, après 11 jours d’une offensive que rien ne semblait arrêter, le régime du dictateur Syrien Bachar El Assad 1s’effondre face à l’organisation de Libération du Levant2, plus connu sous le nom HTC (Hayat Tahrir al-Cham). Dirigé par Ahmed al-Sharaa3, ce groupe avec ses alliés prit le pouvoir, tout en se dissolvant.

Nommé Président par Intérim, ce dernier avec les membres de la conférence du Dialogue National Syrien, présente le 13 mars 2025 la “Déclaration constitutionnelle de la République arabe syrienne”. Donnant un cadre légal au pouvoir de Ahmed Al-Shaara, la constitution débute le processus de transformation politique pour la Syrie. Néanmoins, le pays est encore très loin d’être un état stable et non failli. Tandis que des grands morceaux de son territoire sont encore aux mains de groupes issues de la guerre civile, des affrontements se déroulent toujours sur son sol et des violences sectaires continuent de se dérouler4. Ainsi, nous pouvons nous questionner sur les défis que la Syrie doit relever pour retrouver une stabilité locale.

Dans un premier temps, nous verrons la nécessité pour le gouvernement de rétablir les canaux de communications officiels. Dans un second temps, nous nous intéresserons au défi des ethnies en Syrie, et de la nécessité d’adaptation politique. Pour finir, nous verrons la nécessité de la mise en place d’une justice transitionnelle à l’égard des crimes perpétué par l’ancien régime et les insurgés pour fermer les plaies de la guerre civile.


Rétablir les communications officielles et les institutions publiques d’information : une urgence vitale pour la Syrie post-Assad


Depuis la chute du régime d’Assad en décembre 2024, la Syrie est plongée dans un trou noir d’information, où l’absence de canaux officiels de communication et de structures étatiques fonctionnelles laisse le champ libre à la désinformation, aux récits sectaires et/ou ethniques et à l’insécurité.
Dans un pays fracturé par plus d’une décennie de guerre, les moyens de communication officiels sont presque inexistants malgré le lancement de la chaîne Syrian news, le 5 mai 2025.

De ce fait, la population doit s’informer à travers des canaux non vérifiés, principalement les réseaux sociaux comme Facebook, WhatsApp ou Telegram. Cette habitude de la guerre civile n’en est que dangereux. Le manque d’objectivité des propriétaires des comptes provoque un climat de confusion, de peur, et une polarisation communautaire grandissante, les chaînes étant souvent centré autour de ce qui arrivait à une ethnie ou une.


Des rumeurs dangereuses et sans contrôle


Un article de l’Atlantic Council souligne que dans les régions côtières comme Lattaquié, des comptes anonymes ont diffusé de fausses alertes de massacres suite aux violences à Homs en janvier ou bien d’insurrection pro-Assad soutenu par les USA, la France, Israël, pour créer un état Alaouite.

En l’absence d’un démenti officiel ou de médias crédibles, ces rumeurs ont rapidement pris de l’ampleur, semant la panique chez l’ethnie adverse et accentuant les tensions entre communautés. De même, le récit ethnique se rajoute à la désinformation ambiante. A Lattaquié, des sunnites étaient perplexe sur les massacres au niveau de la côte tandis que les Alaouites au contraire pensait qu’il s’agissait d’un massacre autorisé par le gouvernement sans insurgé. Si les alaouites se pensaient victime d’un génocide à cause de l’amplification du nombre de morts par les réseaux sociaux, le démenti provoqua chez les sunnites l’inverse, jugeant que les forces gouvernementales n’avaient pas pu répondre correctement à l’insurrection.


Une guerre de l’information alimentée de l’extérieur


Le vide informationnel est aussi exploité par des acteurs étrangers. L’Iran, le Hezbollah ou encore Israël participent à cette guerre de l’information, en diffusant des récits concurrentiels, notamment à travers des chaînes Telegram et des comptes automatisés.

Un exemple cité est la rumeur d’un retour de Maher el-Assad avec le soutien de la Russie, relayée largement pour servir des objectifs politiques spécifiques selon les communautés ciblées. De même, des enquêtes de la BBC, tel que German Marshall Fund10, ont prouvé qu’Israël, l’Hezbollah et l’Iran mènent des campagnes de désinformation en Syrie.

L’échec des autorités à fournir des réponses


Les gouvernements locaux ont bien tenté de mettre en place des pages Facebook officielles dans certaines provinces (Lattaquié et Tarous), mais ces dernières restent peu suivies, unidirectionnelles, et incapables de rivaliser avec la viralité des contenus non officiels. L’algorithme des réseaux sociaux favorisant grandement les contenus qui font le buzz. Le ministère de l’Intérieur ou les autorités provinciales publient donc des informations, mais sans infrastructure médiatique centrale forte, l’impact reste négligeable et les fakes news persistent. De même, la profusion de faux comptes se présentant comme des pages officiels des Services de Sécurités générales, renforce le chaos des informations.


Instaurer un système démocratique non ethnique pour calmer les revendications ethniques :


Si la restauration des canaux de communication officiels est une urgence technique et administrative, la consolidation d’un ordre politique inclusif de toute les minorités représente quant à elle un défi existentiel pour une Syrie post-Assad stable et prospère.

Des décennies de gouvernance centralisée et autoritaire aux mains de certaines membres de la minorité Alaouite ont non seulement sapé la croyance dans les institutions étatiques, mais elles ont aussi fragmenté la société syrienne, en exacerbant les clivages religieux, ethniques et politiques. Cette segmentation a produit une méfiance généralisée envers toute forme de pouvoir central, que seule une refondation profonde du pacte social peut espérer surmonter.


Aujourd’hui, toute tentative de reconstruction institutionnelle doit s’ancrer dans une logique de participation réelle, qui ne se limite pas à coopter quelques figures symboliques, mais engage effectivement les divers segments de la population syrienne : communautés religieuses et ethniques, partis politiques, réseaux locaux et société civile. Ce n’est qu’en assurant à chacun un accès équitable à la prise de décision, à travers des mécanismes transparents et durables que la nouvelle gouvernance pourra prétendre à la légitimité.


Une dynamique double : impulsion étatique et enracinement local


Ce processus nécessite une approche en deux temps. D’un côté, l’État doit ouvrir des espaces de dialogue national structurés, abordant des sujets aussi sensibles que la justice transitionnelle, la refonte constitutionnelle, ou encore le mode de répartition des pouvoirs. Ces discussions doivent rompre avec les logiques confessionnelles du passé et s’orienter vers un modèle fondé sur la citoyenneté individuelle. Les revendications populaires expriment d’ailleurs une volonté claire de dépasser les appartenances communautaires au profit d’une représentation fondée sur l’égalité des droits.


Mais la participation politique ne peut se construire uniquement par le haut. Les dynamiques locales, longtemps réprimées par le régime de Bachar El Assad, doivent être reconnues et valorisées. Durant les années de guerre, de nombreuses initiatives civiles ont vu le jour à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Ces expériences sont souvent porteuses d’une culture du dialogue, de l’auto-organisation et d’un engagement politique concret qui ont été développé à partir de modèles extérieurs ou d’innovations locales. Les participants à ses expériences ont acquis une connaissance fine des besoins de leurs communautés, peuvent aujourd’hui jouer un rôle moteur dans la stabilisation des territoires.


Une société civile renforcée : levier de cohésion et de légitimité


Donner à la société civile un rôle actif ne signifie pas l’instrumentaliser ou la manipuler , mais lui garantir un cadre autonome dans lequel elle puisse exprimer les préoccupations du terrain, contrôler les décisions publiques et nourrir une vision inclusive du pays. Cela suppose un environnement juridique protecteur, des financements transparents, et la fin des restrictions administratives arbitraires.

Dans une Syrie en reconstruction, la reconnaissance de la pluralité des voix et la création d’institutions fondées sur le respect des libertés fondamentales seront les seuls remparts efficaces contre le retour des logiques d’exclusion. À défaut, les frustrations accumulées risquent de se traduire par une radicalisation ou un repli identitaire qui compromettrait à nouveau l’équilibre national. Pire encore, cela pourrait relancer les affrontements entre les forces encore existantes. De même , cela pourrait pousser des acteurs extérieurs à intervenir pour « protéger » une minorité.

Une idée déjà en danger ? :


La “Déclaration constitutionnelle de la République arabe syrienne”, entrée en vigueur le 13 mars 2025, est un texte issu selon le gouvernement de transition du dialogue national syrien. Réinstaurant un régime présidentiel, le texte est sous le feu des critiques des Forces démocratiques syriennes ainsi que les minorités Assyriennes et Syriaques. Bien que des avancées tel que la liberté d’expression et de religion, la séparation des pouvoirs et les droits des femmes, la forme du gouvernement écarte pratiquement toute politique inclusive des minorités.

En effet, article 24 18 dit que:

“1. The President of the Republic shall form a higher committee to select members of the People’s Assembly.

  1. The Supreme Committee shall supervise the formation of electoral sub-committees, and these shall elect two-thirds of the members of the People’s Assembly.
  2. The President of the Republic appoints one-third of the members of the People’s Assembly to ensure fair representation and efficiency”

On remarque ainsi que c’est le président qui pour le moment nomme directement ou indirectement l’équivalent des députés dans l’assemblé du peuple. Or, le président actuel est déjà connu pour choisir des membres de minorités ne représentant pas la minorité choisie195. Les membres du second gouvernement de transition provenant des minorités ne sont pas des représentants de leur peuple. Ainsi, on peut s’interroger sur s’il n’est pas déjà trop tard pour une politique inclusive des minorités. Pour autant à l’inverse, le gouvernement semble vouloir traiter avec les conseils locaux, issu de la révolution syrienne. Ainsi, on ne peut définir clairement l’avenir politique de la Syrie. Néanmoins, tant que le processus n’est pas correctement lancé, la Syrie restera divisée, comme le prouve la condamnation des FDS de la déclaration constitutionnelle, qui met en danger l’intégration de ces derniers.

Une justice transitionnelle à la croisée des chemins : entre justice pour les morts et reproduction des fractures ethniques


La justice transitionnelle devait incarner l’un des piliers de la reconstruction en Syrie. Elle a eu dans les précédents cas tel que le Rwanda ou l’Afrique pour ambition de répondre aux exactions du passé, de restaurer la confiance entre l’État et les citoyens, et de permettre une réconciliation durable. Pourtant, les mécanismes récemment mis en place peinent à incarner cette promesse.

D’un côté, des projets tels que The Day After, soutenus par des experts syriens et internationaux, ont formulé des recommandations claires : création de commissions d’enquête nationales, procès pour les hauts responsables du régime, mécanismes de réparation symboliques et financiers, ainsi que la promotion d’un récit commun basé sur la reconnaissance des souffrances de toutes les communautés. Ce modèle ambitieux, fondé sur les leçons tirées d’expériences en Afrique du Sud, au Rwanda ou au Cambodge, insiste sur la nécessité d’un processus syrien, légitime et inclusif, porté par la société elle-même. Il refuse l’imposition de solutions extérieures déconnectées des réalités locales et appelle à un équilibre délicat entre justice, réconciliation et stabilité. Un tribunal de l’ONU ou sponsorisé par un état étranger ne créerait que du ressentiment interne face à l’agent étranger.


Mais à l’épreuve des faits, la mise en œuvre actuelle de la justice transitionnelle en Syrie est largement critiquée. Le décret présidentiel de mai 2025, qui crée une Commission de justice transitionnelle, est accusé de ne viser que les crimes du régime Assad, excluant les responsabilités des groupes armés non étatiques. Cette approche unilatérale risque d’amplifier le sentiment d’injustice chez de nombreuses victimes, notamment celles des violences intercommunautaires récentes. Or, que cela soit HTS, l’armée nationale syrienne ou bien les Forces Démocratiques syriennes, toutes sont suspectés de crime de guerre.


Plus grave encore, la participation des victimes est quasi absente. Aucun mécanisme ne leur permet d’être représentées dans les instances de gouvernance de la commission, ni d’influencer son orientation. Le processus de nomination reste opaque, et les compétences des personnes désignées à sa tête sont contestées. Selon Human Rights Watch, cela représente une occasion manquée d’instaurer une justice réellement portée par les victimes, et non façonnée par des calculs politiques ou symboliques.

La Commission nationale pour les personnes disparues, quant à elle, bien qu’espérée par de nombreuses familles, manque toujours d’un cadre de fonctionnement clair, de transparence, et surtout, de concertation avec les principaux concernés. Ainsi, on assiste à une forme de justice transitionnelle à moitié construite, où l’intention politique ne se traduit pas encore en résultats concrets, ni en légitimité populaire.


Conclusion générale


De la remise en route des services publics à la refondation des institutions, en passant par l’élaboration d’un système politique inclusif et la mise en place d’une justice transitionnelle crédible, la Syrie est face à une tâche immense mais décisive. Si la reconstruction physique est déjà un défi, la reconstruction morale et institutionnelle est encore plus complexe. Sans une justice équitable, transparente et intégrée aux attentes du peuple syrien, les blessures resteront ouvertes, prêtes à être instrumentalisées. La paix durable ne se décrète pas. Elle se construit – lentement, douloureusement – à travers la reconnaissance des souffrances, la responsabilisation des coupables et l’intégration des victimes dans le récit national. Ce n’est qu’à cette condition que la Syrie pourra véritablement sortir de l’ombre du conflit.

Kentin P

Bibliographie :
Transitional Justice For syria , September 2013 by Nicholas Rostow , Strateigc Forum 282
https://inss.ndu.edu/Portals/68/Documents/stratforum/SF-282.pdf 

[Humain right Watch] Syria’s Transitional Justice Commission: A Missed Opportunity for Victim-Led Justice By Alice Autin , 19/05/2025

Sectarianism, social media, and Syria’s information blackhole. By Gregory Waters and Kayla Koonts
https://www.atlanticcouncil.org/blogs/menasource/sectarianism-social-media-and-syrias-information-blackhole/ 

Iran Update Institute for the study of war : https://understandingwar.org/backgrounder/iran-update-june-10-2025

ICi Beyrouth  : Le système syrien change-t-il vraiment avec cette nouvelle constitution : https://icibeyrouth.com/articles/1310441/le-systeme-syrien-change-t-il-vraiment-avec-cette-nouvelle-constitution

  1. Régime dictatorial imposé par le père de Bachar El-Assad , Hafez el-Assad. Issu du parti, ce dernier
    promeut un nationalisme arabe laïc et socialiste. Le régime du père et du fils sont connus pour leurs
    exactions à travers la police d’état. Le régime syrien était en conflit avec des insurgés depuis le
    15/11/2011 ↩︎
  2. Appelé dans les médias HTS français, HTC chez les anglais pour Hayat Tahrir al-Cham. Une
    organisation islamiste salafiste fondé par la fusion de l’ex Front Al nostra et de plusieurs groupes
    d’insurgés syriens. Il gouverne Idib depuis 2019 ↩︎
  3. Aussi connu sous le nom Abou Mohammed Al-Joulani ↩︎
  4. L’institute for the study of war signale des affrontements entre forces syriennes et FDS au 10 juin ↩︎
  5. Le ministre Kurde actuel Mohammed Abdul Rahman Turko n’est pas issu des dirigeants
    d’Administration autonome du Nord et de l’Est de la Syrie. Les deux ministres druzes du
    gouvernement sont davantage technocratiques que représentatifs de leurs minorités. ↩︎