
Les opérations de maintien de la paix de l’ONU (OMP) ont été créées en 1992, afin de protéger les populations contre des menaces et contribuer au maintien d’un environnement sécurisé dans les zones de conflits. Depuis la fin de la guerre froide, les opérations de maintien de la paix de l’ONU ont évolué : d’un simple rôle d’interposition temporaire, elles visent désormais à protéger les civils, soutenir la gouvernance locale et stabiliser durablement les sociétés post-conflit. Ces missions agissent souvent dans des contextes de guerre civile où la violence est diffuse et décentralisée.Mais les effets réels de ces interventions sur la paix locale et le bien-être des civils doivent être évalués car les missions ont fait objet de débat quant à leurs avantages à long terme.
Il est alors essentiel d’examiner quelle est l’influence concrète de la présence des Casques bleus sur les dynamiques locales de conflit et la vie quotidienne des populations civiles dans l’objectif d’instaurer une paix stable.
Les Casques bleus réduisent les violences à l’échelle locale, ils jouent un rôle de médiateur significatif.De nombreux rapports soulignent l’impact positif des missions de maintien de la paix de l’ONU dans la réduction de la violence locale, notamment dans des contextes post-conflit comme au Liberia, où la présence prolongée des Casques bleus a contribué à stabiliser durablement la situation sécuritaire. Une étude, détaillée dans Winning the Peace Locally (Gagner la paix au niveau local)1 de Ruggeri, fournit des éléments montrant que la présence des troupes onusiennes diminue sensiblement les conflits intercommunautaires. En s’appuyant sur des données provenant de plusieurs pays africains, tels que le Libéria et la Sierra Leone, les auteurs démontrent que les opérations de l’ONU contribuent à la stabilisation d’environnements locaux fragiles, y compris dans le sillage de conflits nationaux plus vastes. L’efficacité de ces missions peut être attribuée à deux mécanismes principaux : la dissuasion et la médiation. Les troupes onusiennes dissuadent les acteurs armés de recourir à la violence grâce à une combinaison de capacités de surveillance, de mobilité stratégique et de présence symbolique, qui signale l’attention de la communauté internationale et les conséquences potentielles d’une reprise des hostilités.
Par ailleurs, les soldats de la paix facilitent activement la résolution des conflits en jouant un rôle de médiation entre les acteurs locaux, tels que les autorités traditionnelles, les chefs communautaires et les milices. Leur soutien au dialogue et à la reconstruction de la confiance à l’échelle communautaire est essentiel pour la consolidation durable de la paix. Des exemples concrets illustrent cette dynamique sur le terrain. Au Libéria, par exemple, la Mission des Nations Unies au Libéria (MINUL) a contribué à réduire les affrontements locaux en maintenant une présence visible dans les districts instables, exerçant ainsi un effet stabilisateur même après la fin officielle de la guerre civile. De même, en Sierra Leone, le déploiement prolongé de soldats de la paix dans les zones rurales, dans le cadre de la Mission des Nations Unies en Sierra Leone (MINUSIL), a joué un rôle clé en appuyant les initiatives locales de paix et en renforçant la résilience des communautés. L’ensemble de ces éléments met en lumière l’importance des missions de maintien de la paix de l’ONU, non seulement pour faire respecter les cessez-le-feu à l’échelle nationale, mais aussi pour favoriser une paix durable à l’échelle locale.
L’efficacité est conditionnée par l’investissement des populations car la réussite des missions de maintien de la paix de l’ONU dépend souvent du degré de proximité, à la fois sociale et physique, que les soldats maintiennent avec les populations locales, il s’agit d’un facteur modérateur de la violence et source de stabilité. Une étude conduite par Bove et Ruggeri, Peacekeeping Effectiveness and Blue Helmets’ Distance from Locals2( Efficacité du maintien de la paix et distance des Casques bleus par rapport à la population locale), met en évidence le rôle critique que joue la distance géographique dans la réussite des efforts de maintien de la paix. Les auteurs constatent une corrélation négative entre la distance des bases onusiennes par rapport aux villages locaux et la réduction de la violence : plus les soldats de la paix sont éloignés des populations civiles, moins ils sont efficaces dans la prévention et la réponse aux menaces.
Cette dynamique spatiale a des implications concrètes. Lorsqu’elles sont stationnées à proximité des villages, les troupes onusiennes peuvent réagir plus rapidement aux dangers émergents, offrir une présence visible et rassurante, et dissuader les agresseurs potentiels. La simple proximité physique des soldats joue ainsi un rôle de tampon, à la fois matériel et psychologique, contre la violence, en renforçant la perception que la communauté internationale protège activement les populations vulnérables.
Cependant, la proximité ne se limite pas à la géographie. La distance sociale et culturelle influe également de manière significative sur l’efficacité des opérations de maintien de la paix. Les différences linguistiques, culturelles et religieuses entre les soldats et les populations locales peuvent constituer des obstacles à la confiance et à la coopération. Lorsque les troupes proviennent de pays ayant peu d’affinités culturelles ou historiques avec les communautés hôtes, elles peuvent être perçues comme intrusives ou déconnectées, ce qui limite leur capacité à interagir de manière significative avec les habitants et à jouer un rôle de médiateur dans les tensions locales.
Un exemple pertinent est celui de la République démocratique du Congo, où la mission de l’ONU, MONUSCO, a été critiquée par les populations locales pour sa lenteur de réaction et son apparente déconnexion des communautés rurales. Ces critiques sont souvent liées à l’éloignement physique des bases onusiennes et à l’absence de stratégies d’engagement culturellement adaptées. À la lumière de ces défis, plusieurs recommandations politiques ont été formulées. Pour renforcer la réactivité et l’ancrage local, les missions ont accru l’usage de patrouilles mobiles et établi des mécanismes communautaires tels que des bases temporaires sur le terrain ou des réseaux d’alerte communautaire. En outre, elles ont investi dans la formation interculturelle des soldats, le recrutement du personnel civil local, ainsi que celui d’interprètes et de médiateurs communautaires, ce qui a aidé à combler les divisions culturelles et à renforcer la confiance entre les forces onusiennes et les populations qu’elles sont censées protéger. En définitive, l’efficacité des opérations de maintien de la paix repose non seulement sur la force de leur mandat ou leurs ressources, mais aussi sur leur capacité à être physiquement proches et socialement connectées aux communautés locales.
Au-delà de leur rôle dans la réduction de la violence, les missions de maintien de la paix de l’ONU contribuent également à l’amélioration concrète de la vie quotidienne des civils. Des données mettent en lumière la corrélation entre la présence de soldats de l’ONU et un impact positif sur l’économie ainsi que le bien-être social. Dans une étude datant de 2020, UN Peacekeeping and Households’ Wellbeing in Civil Wars (Maintien de la paix de l’ONU et bien-être des ménages dans les guerres civiles), les chercheurs Di Salvatore et Bove s’appuient sur les données de l’Afrobarometer et d’une enquête démographique et de santé pour démontrer que les ménages situés dans les régions où sont déployés des soldats de l’ONU bénéficient de nombreux avantages. Ces derniers comprennent une réduction des cas de déplacement forcé, un meilleur accès à la santé et à l’éducation, ainsi qu’un niveau de sécurité plus élevé. Ces gains sont particulièrement importants dans les environnements post-conflit, où les services publics sont souvent interrompus et où les besoins essentiels ne sont pas satisfaits. En stabilisant le contexte local et en facilitant la livraison de l’aide et des services publics, les OMP contribuent à un sentiment plus large de reprise et de retour à la normalité pour les populations affectées. Il faut toutefois reconnaître que ces effets positifs sont géographiquement concentrés, principalement dans les zones proches des bases de l’ONU, ce qui rappelle l’importance de la proximité physique.
Des exemples concrets illustrent clairement ces constats. En Côte d’Ivoire, les zones sous la présence de l’ONU, dans le cadre de l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI), ont connu une reconstruction post-conflit plus rapide et plus solide, incluant des améliorations notables dans des indicateurs de développement tels que l’éducation et les infrastructures. En Haïti, la Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) a fourni un appui logistique aux hôpitaux et aux écoles, ce qui a directement amélioré la vie quotidienne des civils, notamment dans les zones sous-alimentées. Ces études de cas illustrent comment les OMP peuvent servir non seulement de mécanisme de sécurité, mais aussi d’agents de résilience économique et sociale, à condition qu’elles soient mises en œuvre avec une attention particulière à l’inclusivité et un engagement local.
En somme, les missions de maintien de la paix de l’ONU peuvent avoir un impact concret sur la réduction des conflits locaux et sur l’amélioration des conditions de vie des civils, mais ces effets ne sont ni automatiques ni universels. L’efficacité dépend largement de la proximité physique et sociale des Casques bleus avec les communautés concernées. Pour renforcer leur légitimité et leur impact, les OMP adoptent des stratégies de localisation, de participation communautaire, et de mobilité accrue.
Maya HOURANI
Notes de bas de page
- 1 Ruggeri, A., Dorussen, H., & Gizelis, T-I. (2017). Winning the Peace Locally: UN Peacekeeping and Local Conflict. International Organization.
- 2 Bove, V. & Ruggeri, A. (2019). Peacekeeping Effectiveness and Blue Helmets’ Distance from Locals. Journal of Conflict Resolution.
Bibliographie
- Ruggeri, A., Dorussen, H., & Gizelis, T-I. (2017). Winning the Peace Locally: UN Peacekeeping and Local Conflict. International Organization.
- Bove, V. & Ruggeri, A. (2019). Peacekeeping Effectiveness and Blue Helmets’ Distance from Locals. Journal of Conflict Resolution.
- Bove, V. & Di Salvatore, J. (2020). UN Peacekeeping and Households’ Wellbeing in Civil Wars. American Journal of Political Science.