Située entre l’Europe et l’Asie, la Transcaucasie occupe une position stratégique au carrefour des routes commerciales, des influences culturelles et des dynamiques politiques. (King 2008).  À la fois région montagneuse et entité géopolitique, elle constitue un espace restreint où coexistent diverses cultures, contrastes et intérêts. On y trouve trois grandes puissances régionales – la Russie, l’Iran et la Turquie – ainsi que trois petits États: l’Arménie, la Géorgie et l’Azerbaïdjan. Ici il s’agit de se demander si la Transcaucasie, une région pleine de conflit, peut devenir une zone de stabilité durable. 

Quels sont les conflits de la région? 

Le destin d’être carrefour des intérêts des grandes puissances, dès l’Antiquité jusqu’au présent, ne se présente pas comme un positionnement favorable à la stabilité. Au contraire, ce destin signifie d’être une poudrière qui n’attend que l’étincelle pour exploser. ​​L’histoire de la Transcaucasie est marquée par des querelles territoriales entre grandes puissances, des tensions religieuses persistantes et des conflits ethniques opposant les peuples de la région. La chute de l’Union Soviétique en 1991 et les proclamations de l’indépendance par les États de la région ont débuté la nouvelle époque de la conflictualité, qui est présente jusqu’à nos jours. 

Tensions historiques. 

Hormis les intérêts économiques et territoriaux des grands États, la Transcaucasie est le lieu de l’intersection des religions, ce qui façonnait la conflictualité au cours de plusieurs siècles, à savoir au Moyen Âge: les Arméniens et les Géorgiens chrétiens contre l’occupation de la Perse et de l’Empire ottoman musulmans. Bien que ces tensions religieuses aient diminué au fil du temps et ne jouent plus aujourd’hui qu’un rôle secondaire et voire tertiaire, la mémoire collective reste marquée par ces événements et n’oublie pas les épisodes tragiques du passé, comme le génocide des Arméniens de 1915. De plus, des rivalités économiques, territoriales pour la domination sur la Transcaucasie entre les grandes puissances ravivèrent au passé et ravivent maintenant la flamme des tensions: de nombreuses guerres russo-turques, perso-turques et russo-persanes touchaient fortement les peuples de la région. Hormis le fait que les principales hostilités passaient sur le sol de ces peuples, troublant le cours paisible de la vie quotidienne, chaque puissance voulaient les engager en vue de les faire combattre de son côté. Par exemple, lors de la guerre russo-persanes de 1826-1828, de nombreux Arméniens ont lutté de côté de l’Empire russe chrétien contre l’occupation de la Perse musulmane. Au XXᵉ siècle, après la Première Guerre mondiale et la chute de l’Empire russe en 1917, la Transcaucasie a vu l’émergence de nouveaux acteurs: les premières républiques d’Arménie, de Géorgie et d’Azerbaïdjan. Ces États se sont retrouvés dans une situation complexe, confrontés à plusieurs défis: d’une part, la volonté de l’Empire ottoman de profiter de l’effondrement de la Russie pour étendre son influence; d’autre part, l’ambition de la Russie soviétique de rétablir sa puissance; et enfin, les conflits internes entre eux, comme la guerre arméno-géorgienne de décembre 1918. Néanmoins, au début des années 1920, la Russie soviétique, a réussi à rétablir sa puissance, par les hostilités, en mettant en place les gouvernements communistes. Sous l’Union Soviétique, dès 1922, ces républiques ont connu le partage des frontières, qui suscitera de nombreux problèmes dans les années 1990 et marquera en soi la cause de la nouvelle conflictualité. (de Waal, 2010)

Russie – Géorgie: de l’insurrection ethnique à la guerre. 

Au sein de la Géorgie soviétique, l’une des 15 républiques de l’URSS, deux régions bénéficiaient du statut de républiques autonomes grâce au partage des frontières réalisées par les autorités centrales: l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie. Ethniquement différents des Géorgiens, les Ossètes et les Abkhazes ont réclamé davantage d’autonomie après l’indépendance de la Géorgie suite à l’effondrement de l’URSS. L’intervention des forces gouvernementales géorgiennes pour réprimer une possible insurrection a déclenché un véritable conflit et a conduit ces régions à proclamer leur indépendance dans les années 1990. Les efforts de médiation de la Russie ont permis de mettre fin aux hostilités tout en maintenant le statu quo, situation qui a duré jusqu’aux années 2000. En 2008, pendant la tentative militaire du gouvernement géorgien de rétablir le contrôle sur ces territoires, les forces de maintien de paix russe sont tombées sous le feu, ce qui a entraîné l’invasion de l’armée russe en Géorgie et la reconnaissance de l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie, longtemps demandée par ces derniers. La guerre, qui a duré six jours, est devenue un épisode majeur de l’histoire contemporaine de la Transcaucasie: pour la première fois après la chute de l’URSS, la Russie s’est positionnée comme une force qui est prête à mener les hostilités pour établir sa domination. (de Waal, 2010). Cette décision a changé les règles du jeu diplomatique, en ayant des conséquences à longs termes sur les relations de la Russie avec d’autres républiques post-soviétiques. (Radvanyi, Thorez, 2017) À l’issue de cette guerre de 2008, le statut quo a été établi: l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie restent de facto indépendantes sous influence russe.

Arménie – Azerbaïdjan: tensions finies? 

Plus au sud, un autre conflit a éclaté autour de la région du Haut-Karabakh (appelée Artsakh en arménien), d’abord entre la population arménienne locale et les autorités azerbaïdjanaises, puis entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Dans les années 1930, comme dans le cas de la Géorgie, Ossétie et Abkhazie, les autorités centrales de Moscou ont effectué le partage des frontières entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan soviétiques. Le Haut-Karabakh (voir la carte), selon le droit administratif de l’URSS l’Oblast (région) autonome au sein de la république soviétique de l’Azerbaïdjan, est une région historique arménienne, peuplée à 90% d’Arméniens en 1989. Pendant l’époque de l’instabilité de l’URSS à la fin des années 1980, un référendum a été organisé afin de quitter administrativement la république soviétique d’Azerbaïdjan et rejoindre l’Arménie. Ce référendum, rejeté par les autorités centrales de Moscou et par les autorités locales de Bakou (capitale de l’Azerbaïdjan), est un épisode déclencheur d’un conflit ethnique long et meurtrier entre les Arméniens et les Azerbaïdjanais, qui a pris une forme de la guerre après la chute de l’URSS, en 1992. La première guerre, finie en 1994 par les efforts de médiation de la Russie, a établi le statut quo parfois violé jusqu’à l’année 2020, lorsque la seconde guerre s’éclate, à l’issue de laquelle l’Azerbaïdjan a établi le contrôle sur une grande partie de la région et les forces de maintien de paix russe sont intervenues dans la région. (Kremlin, 2020). Néanmoins, en septembre 2023, l’Azerbaïdjan a mené une opération militaire, en ignorant la présence des forces de maintien de paix, ce qui a mis fin au contrôle arménien et provoqué la fuite de la population arménienne de la région. Ce conflit, comme celui de Géorgie, est une conséquence du partage des frontières pendant l’époque soviétique: le fait d’avoir donné l’autonomie aux régions, ethniquement différentes du pouvoir central, ou les inclure au sein d’autres pays n’est qu’une véritable bombe avec le retardement, qui a explosé après 1991. Ce conflit a également provoqué un affrontement direct entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, la frontière entre les deux pays n’ayant jamais été clairement délimitée. En 2022, l’Azerbaïdjan est même intervenu sur le territoire arménien, en occupant 241 kilomètres carrés du territoire souverain de l’Arménie. Le processus de délimitation des frontières, débuté en 2024, ainsi que de longues négociations ont abouti à la perspective de signer une déclaration de paix ce 8 août à Washington, sous la médiation des États-Unis, en mettant fin à un long conflit armé entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. 

Que pourrait apporter la paix à la région? 

L’année 2025 est probablement l’année la plus pacifique que la Transcaucasie ait connu depuis la chute de l’Union Soviétique: aucune action militaire n’a eu lieu entre aucun pays de la région. Au contraire, cette année est marquée par l’augmentation des négociations et des coopérations. Outre la raison humaniste évidente, que la paix mettra fin aux pertes humaines, elle comporte également des avantages politiques, économiques et sociaux. 

Déblocage des routes: facteur important de la stabilité. 

Historiquement, le commerce constitue souvent l’un des rares points d’intersection permettant à des États en conflit d’améliorer leurs relations. (World Bank Group, 2015). La Transcaucasie n’en est pas une exception: située au carrefour de l’Occident et de l’Orient dispose d’un potentiel économique et commercial. Le conflit armé entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan a restreint les cadences du commerce, surtout pour l’Arménie n’ayant accès à la mer. Du point de vue international, tant qu’un pays est en guerre avec un autre, aucun des deux n’est considéré comme stable – ni pour un simple transport des marchandises, ni pour les investissements à grande échelle. Dans ce contexte, la fin du conflit armé se présente comme un élément fondateur permettant d’ouvrir les routes pour le transport des marchandises et d’augmenter le niveau de l’intégration des États dans le commerce international. En 2024, le gouvernement de l’Arménie a présenté son projet intitulé “Carrefour de paix”, en proposant la vision du déblocage des routes qui peuvent lier différents pays via le territoire arménien, tout en respectant le droit international. (Primeminister.am, 2023). Ce projet, soutenu par divers acteurs mondiaux aux intérêts parfois contradictoires tels que l’Union européenne, l’Iran, les États-Unis et la Chine, constitue un tournant majeur dans la manière dont la Transcaucasie est perçue par la communauté internationale. De plus, le fait que les pays de la région deviennent en quelque sorte interdépendants sur le plan commercial réduira fortement le risque d’un nouveau conflit, ce qui constitue un facteur clé de stabilité.

La paix: une occasion de régler durablement les différends frontaliers. 

En étant un problème majeur de la Transcaucasie contemporaine, la question de la délimitation des frontières, ainsi que leur ouverture, est au cœur des négociations. Outre le renforcement de la coopération économique, l’ouverture des frontières permettra de renforcer la souveraineté de chaque État de la région: plus un État connaît les limites de son domaine de légitimité, plus il peut envisager l’avenir avec confiance et ouvrir ses frontières sans risque d’intervention de la part d’un autre pays. La volonté de résoudre ce problème dans un atmosphère de paix joue un rôle positif sur les négociations, qu’elles soient bilatérales ou multilatérales, en permettant aux États de trouver un compromis même en cas de désaccord sur certains points. C’est le cas des négociations entre l’Arménie et la Turquie sur l’ouverture des frontières, fermées depuis 1993 en raison du conflit avec l’Azerbaïdjan: le climat de la paix permet d’avancer sur plusieurs points de désaccord qui existent entre les deux et rapprocher l’ouverture des frontières. (CivilNet, 2025). 

La paix, comme occasion du développement intérieur. 

En outre, l’établissement de la paix permet également de reconsidérer les priorités budgétaires des États. L’État en situation de guerre ou de risque du conflit armé, logiquement,  consolidera une grande partie de ses revenus pour le secteur de défense, parfois au détriment d’autres secteurs de la vie sociale. Grâce à la paix, les États de la région pourront accorder une attention à des secteurs insuffisamment développés, notamment la santé, l’éducation et la recherche, et bénéficieront de plus de ressources pour les soutenir. À cet égard, il est possible de citer le cas du budget d’Arménie pour l’année 2026, qui connaît une baisse des dépenses militaires de 16% et l’augmentation historique des dépenses pour le secteur de l’éducation. (Courrier d’Erevan, 2025). De plus, la paix permettrait de rafraîchir la vie politique locale, en changeant l’attention de la question de la guerre et en se portant plus vers le sujet des évolutions sociales et de l’amélioration des vies des citoyens. 

La paix est-elle donc possible? 

Malgré de nombreux avantages que la paix présente pour les pays de la région, rien n’est aussi simple dans la politique internationale. Il est impossible de prévoir à 100 % ce qu’un autre État peut faire ou penser, d’autant plus que la réalité évolue rapidement non seulement dans la région, mais dans le monde en général. La paix en Transcaucasie, malheureusement, ne dépend uniquement que de la volonté des États de la région: de grandes puissances mondiales peuvent toujours influencer ou rompre, dans le cadre de leurs intérêts, des initiatives de paix. (Cornell, 2011).  Or, les actions des grandes puissances, même si elles ne concernent pas directement la Transcaucasie, peuvent néanmoins modifier les règles du jeu et rééquilibrer les forces en présence. Par exemple, il est pertinent de mentionner le déclenchement de la guerre en Ukraine en 2022, qui a changé un rapport de force en Transcaucasie: la Russie, présente dans le Haut-Karabakh en qualité de la force médiateure de la paix, n’a pu rien faire en 2023, lorsque l’Azerbaïdjan a lancé une opération militaire malgré les accords et la présence physique des forces russes. Le fait que la Russie est occupée par la guerre a permis d’une certaine manière à l’Azerbaïdjan de profiter de cette situation. En conséquence, il est impossible de prévoir l’avenir ni de savoir quelles actions un État pourrait entreprendre si la situation change: les pays de la région n’essaieront-ils pas de recourir à nouveau à la guerre si le contexte mondial leur devient favorable? De plus, il est essentiel de prendre en compte l’aspect psychologique: tout le monde ne devient pas partisan de la paix après une guerre. Au contraire, il existe toujours des individus, qu’il s’agisse de simples citoyens ou de responsables officiels, qui entretiennent une rhétorique agressive ou revanchiste. Dans ce contexte, chaque proclamation agressive pourrait menacer la paix et rendre l’atmosphère des négociations plus tendue. En suivant la logique de l’influence des États tiers sur la paix en Transcaucasie, il est impossible d’ignorer la situation au Moyen-Orient, qui ne cesse de mettre de l’huile sur le feu. La succession de conflits armés dans cette région influence significativement le rapport des forces en Transcaucasie. Par exemple, l’Azerbaïdjan se présente à la fois comme un allié de la Turquie et comme un partenaire fiable d’Israël, alors même que les relations entre Ankara et Tel-Aviv sont aujourd’hui particulièrement tendues à cause de la Syrie. De son côté, l’Arménie, qui se définit non pas comme un allié mais comme un partenaire stratégique de l’Iran, renforce ses liens avec les États-Unis, considérés comme un adversaire de Téhéran. La paix en Transcaucasie n’est possible qu’à condition que les États parviennent à s’abstenir de ces influences, bien que cela paraisse difficile à mettre en œuvre, surtout dans le monde aussi interdépendants. Néanmoins, les avancées visibles au cours des dernières années offrent un espoir et représentent un socle solide pour la réalisation de cet objectif. 

BIBLIOGRAPHIE: 

  1. Cornell, S. E. (2001). Small nations and great powers: A study of ethnopolitical conflict in the Caucasus. Curzon Press.
  2. de Waal, T. (2010). The Caucasus: An introduction. Oxford University Press.
  3. King, C. (2008). The ghost of freedom: A history of the Caucasus. Oxford University Press.
  4. Koolaee, E., Rashidi, A., Yeo, A., Sanikidze, G., & Seferian, N. (2024). Iran and the South Caucasus after the Second Karabakh War. Caucasus Analytical Digest, (136).
  5. Compte rendu de Atlas géopolitique du Caucase: Russie, Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan: un avenir commun possible? par Radvanyi, J., & Beroutchachvili, N. Revue historique des armées, (263).
  6. World Bank. (2013). Trading away from conflict: Using trade to increase resilience in fragile countries. World Bank.
  7. Kremlin, 2020. http://www.kremlin.ru/events/president/news/64384
  8. Primeminister.am https://www.primeminister.am/fr/statements-and-messages/item/2023/10/26/Nikol-Pashinyan-Speech/
  9. CivilNet, 2025. https://www.civilnet.am/fr/news/974231/serdar-kilic-a-margara-une-etape-symbolique-dans-le-processus-de-normalisation-entre-larmenie-et-la-turquie/ 
  10. https://www.franceinfo.fr/monde/conflit-dans-le-haut-karabakh/haut-karabakh-sept-questions-pour-comprendre-pourquoi-l-azerbaidjan-et-des-separatistes-soutenus-par-l-armenie-se-disputent-cette-region_6085530.html
  11. https://courrier.am/fr/projet-de-budget-de-l-etat-pour-2026
https://fr.wikipedia.org/wiki/Transcaucasie