Lors de son discours à l’Unesco (1), prononcé en novembre dernier, Emmanuel Macron a exprimé sa volonté de combattre la pédopornographie en durcissant véritablement les sanctions encourues par les consommateurs et contributeurs de cette affligeante industrie. 

30 ans après la ratification de la Convention Internationale relative aux droits de l’enfant (CIDE) par la France, de nombreuses questions subsistent au sujet de la protection des enfants à l’échelle nationale mais également internationale. Si les questions de l’éducation, du droit à avoir une famille ou encore du droit à ne pas être victimes de violences sont des questions évidemment fondamentales, celle de l’exploitation sexuelle des enfants est tout aussi importante. En effet, les enfants peuvent être perçus comme de véritables marchandises par les personnes les exploitant, ce qui engendre des violences organisées et des réseaux dévastateurs à démanteler.

L’article 34 de cette Convention dispose notamment que « les Etats parties s’engagent à protéger l’enfant contre toutes les formes d’exploitation sexuelle et de violence sexuelle ». A cette fin, les Etats doivent prendre toutes les mesures appropriées, à toutes les échelles, pour empêcher que des enfants ne soient : « incités ou contraints à se livrer à une activité sexuelle illégale; exploités à des fins de prostitution ou autres pratiques sexuelles illégales; exploités aux fins de la production de spectacles ou de matériel de caractère pornographique ».

Sur la base de cette Convention, les Nations Unies ont développé des actions afin de lutter concrètement contre l’exploitation sexuelle des enfants. Ainsi, à titre principal, l’ONU a établi en 1990 un Rapporteur spécial des Nations Unies sur la vente et l’exploitation sexuelle des enfants. Cet organe a pour mandat d’analyser les causes profondes de ces activités criminelles, d’identifier de nouveaux modèles de vente et d’exploitation sexuelle, d’échanger les moyens et pratiques possibles pour les combattre  efficacement et de faire des recommandations pour la réhabilitation des enfants victimes de cette ignominie. Ses activités se divisent dès lors en quatre domaines d’action principaux : la réalisation de visites dans les pays, l’envoi des plaintes individuelles, la rédaction des rapports thématiques et la réalisation d’activités de sensibilisation et de plaidoyer pour promouvoir et protéger les droits fondamentaux des enfants (2). Ainsi, les Nations Unies sont véritablement engagées dans la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants.

Comme l’ont nécessairement précisé les Nations Unies dans le préambule de la CIDE, tous les Etats du monde sont concernés par cette menace pour les droits des enfants. En effet, l’Assemblée générale a sans nul doute voulu attirer l’attention sur le fait que cette problématique n’est pas propre à certaines régions du monde, mais bien à chacun des Etats membres des Nations Unies. Elle précisait donc, très utilement, « qu’il y a dans tous les pays du monde des enfants qui vivent dans des conditions particulièrement difficiles, et qu’il est nécessaire d’accorder à ces enfants une attention particulière ». 

Si, de manière déplorable, l’exploitation sexuelle des enfants semble prendre diverses formes et être tragiquement novatrice, dépassant ainsi ce qui est imaginable dans l’esprit commun, certaines d’entre elles perdurent depuis de nombreuses années. En effet, trois modèles fondamentaux constituent les clés de voute de cette industrie néfaste : la pédopornographie, le tourisme sexuel et la prostitution enfantine. 

La pédopornographie, les droits des enfants bafoués sur internet

L’industrie de la pédopornographie est réellement un fléau contre lequel il semble de plus en plus difficile de lutter. En 2018, 45 millions de photos et videos représentant des abus sexuels commis sur des enfants étaient en effet répertoriées (3). L’anonymat et l’accès à du contenu explicit à moindre coût sont d’incroyables atouts séduisant toujours plus les cybercriminels. Difficiles à appréhender sur Internet, les pédophiles sont alors confortés dans un sentiment total d’impunité.

En réalité, le Darknet, sur lequel de nombreuses images pédopornographiques sont diffusées et partagées, semble constituer en certains points une zone de non droit à laquelle les autorités ont de grandes difficultés à accéder. 

De plus, avec la démocratisation des réseaux sociaux utilisés par des consommateurs toujours plus jeunes, le risque de faire face à des pédocriminels dissimulés sous des fausses identités ou de faire chanter des enfants pour obtenir du contenu sexuel est croissant. 

Internet étant un outil d’envergure mondiale, la lutte contre les pédocriminels est d’autant plus complexe et appelle à une coopération internationale, ce qui en pratique est particulièrement laborieux à mettre en oeuvre. 

A titre d’illustration, les Etats-Unis représentent la plus importante industrie pornographique au monde, et cette domination du marché par la puissance américaine est également avérée dans le domaine de la pornographie enfantine. Pourtant, les Etats-Unis sont aujourd’hui encore les seuls à ne pas avoir ratifié la CIDE (4). Bien que des lois nationales régissent évidemment la protection des enfants aux Etats-Unis, le fait que l’une des plus importantes puissances mondiales, reine de l’industrie pornographique et du revenge porn, n’ait pas ratifié la Convention internationale principale en matière de droit des enfants est, selon nous, terriblement symbolique d’une lutte loin d’être achevée contre la propagation de la pédopornographie.  

Le tourisme sexuel, quand le corps des enfants devient une attraction au détriment de leur intégrité

Si le terme « tourisme » renvoie à de douces pensées teintées d’air de vacances, de découverte et de farniente, le tourisme sexuel est une réalité bien loin de toutes ces illusions dorées.

Marc Capaldi, directeur de recherche à l’ECPAT, expliquait notamment qu’«il est certain que l’exploitation sexuelle des enfants lors des voyages et du tourisme a considérablement augmenté en raison du développement massif du tourisme mondial ces dix dernières années. Les gens sont aujourd’hui beaucoup plus mobiles et le développement croissant des nouvelles technologies d’information et de communication a permis aux délinquants d’accéder plus facilement aux enfants ». Effectivement, si la mondialisation a agréablement su donner un coup de booster à l’économie locale, elle a également su accroître l’une des plus abjectes industries en matière de tourisme.

Il n’y aurait en réalité pas de réel profil type des délinquants pédosexuels ayant recours au tourisme sexuel, il peut donc s’agir de locaux ou nationaux, d’étrangers, de jeunes,  de vieux, d’hommes, de femmes, de blancs, de noirs… Tous les âges, les sexes et les ethnies sont concernés par cette problématique, les agresseurs ne répondent donc plus seulement au cliché que l’on s’en faisait auparavant. Il ne s’agit pas seulement de riches hommes blancs âgés ayant recours à des prostituées thaïlandaises encore pré-adolescentes, bien que cette situation demeure tristement une réalité. L’évolution du volontourisme a également contribué à l’expansion de cette industrie dévastatrice, où les agresseurs, plus ou moins éloignés de leur domicile, s’estiment légitimes à recourir à la prostitution infantile, et ce, dans un idéal d’impunité une fois encore. 

Si les profils des criminels évoluent et changent, certaines profils de victimes restent les mêmes : des enfants issus de milieux défavorisés pour la plupart. Parce qu’ils sont dépourvus de certains droits civiques, jeunes, isolés parfois, ils apparaissent comme étant les « victimes parfaites ». 

Mais la vie d’une mineure prostituée au Ghana a la même valeur que celle d’une enfant européenne, c’est d’ailleurs ce qu’a souligné la Suède en élaborant un système pour dénoncer les suédois ayant eu recours au tourisme sexuel. Cette initiative est louable et très responsable de la part de la Suède, qui n’arrête pas son combat contre l’exploitation sexuelle des enfants à ses frontières. C’est également le cas de l’Etat français qui livre un véritable combat contre le tourisme sexuel en appréhendant ses citoyens pédocriminels pour leurs actes commis à l’étranger. Par ailleurs, cette extraterritorialité de la loi pénale française ne concerne pas seulement le tourisme sexuel, mais aussi la pédopornographie, la corruption de mineurs, les agressions sexuelles, les viols, etc.

« Les ‘Natacha’ sont exportées partout dans le monde ainsi que prostituées dans leur propre pays où s’organisent des tours sexuels pour les étrangers »

Référence sur les filles de l’ancien bloc soviétique dont l’identité est anéantie pour les transformer en figure sexuelle, elles sont désignées ici sous le nom commun de Natacha – Les enfants prostitués, de Richard Poulin

La prostitution enfantine, la servitude et le détournement des enfants par les adultes

Afin d’illustrer le phénomène désastreux qu’est la prostitution enfantine, il convient de citer quelques alarmants chiffres. « L’industrie de la prostitution enfantine exploite 400 000 enfants en Inde, 100 000 enfants aux Philippines, entre 200 000 et 300 000 en Thaïlande, 100 000 à Taïwan, entre 244 000 et 325 000 enfants aux États-Unis […]. On estime qu’en Chine populaire, il y a entre 200 000 et 500 000 enfants prostitués. Quelque 35 % des prostituées du Cambodge ont moins de 17 ans […]. Certaines études estiment qu’au cours d’une année, un enfant vend “ses services sexuels” à 2 000 hommes […]. Un rapport du Conseil de l’Europe estimait en 1996 que 100 000 enfants de l’Europe de l’Est se prostituaient à l’Ouest. ». Si ces données sont choquantes, il convient de garder à l’esprit qu’ils datent du début des années 2000, et qu’aujourd’hui, en 2020, la situation n’a fait qu’empirer. 

En effet, comme l’argue des associations de lutte contre la prostitution enfantine, « Internet influence plusieurs aspects de la prostitution des mineurs : la banalisation, le recrutement, l’organisation ». On estimait au début des années 2000 que « le chiffre de la prostitution des enfants aux Pays-Bas ait augmenté de 300 % de 1996 à 2001 ». Mais aujourd’hui, à l’ère d’Internet, des offres d’emploi déguisées et de la manipulation des enfants aux fins d’exploitation sexuelle, les réseaux de prostitution sont d’autant plus difficiles à démanteler. 

Les récents mouvements migratoires ayant afflué en Europe ont également, une nouvelle fois, été l’opportunité pour les proxénètes d’élargir leurs réseaux au détriment des enfants fuyant leur pays en conflit. Fuir la guerre pour découvrir la prostitution, ou comment quitter l’horreur pour la rejoindre sous un autre aspect. Tout comme la majorité des enfants en vivant dans des conditions d’extrême pauvreté, les enfants migrants sont particulièrement exposés au danger que représente la prostitution enfantine. 

 » C’est à la frontière franco-italienne que certains enfants migrants sont obligés de se prostituer car ils n’ont pas les moyens de payer les passeurs (la somme s’élève jusqu’à 150 euros). Mais pas seulement. Le chemin est long et les jeunes migrants se prostituent pour un peu de nourriture, ou un endroit où dormir ».

Des enfants migrants obligés de se prostituer pour passer la frontière franco-italienne, par le Nouvel Obs

Comme l’expliquait Richard Poulin dans son ouvrage, l’industrie du sexe est aujourd’hui l’industrie qui connaît la plus grande expansion au monde. Dès lors, la menace pour les enfants est immense, puisque les enfants occupent une part importante de ce marché. 

Concrètement, toutes ces formes d’exploitation sexuelle sont des dangers pour les droits des enfants. Bien évidemment, la France, tout comme le reste des pays composant en partie la société internationale actuelle, doit assumer ses responsabilités et fournir encore plus de moyens et appliquer une tolérance zéro sur l’exploitation sexuelle des mineurs. 

Les enfants, au vu de leur particulière vulnérabilité et leur dépendance évidente aux adultes chargés de leur protection, ne doivent pas être rétrogradés au second plan, ignorés, laissés seuls dans leur misérable quotidien. Les autorités de chaque Etat doivent lutter contre les individus s’octroyant le pouvoir d’anéantir la vie de millions d’enfants dans le monde. Bien sûr, le combat est long, la lutte est difficile, mais l’élaboration d’un meilleur futur pour ces enfants ainsi que la préservation des potentielles victimes, face à ces menaces réelles et croissantes, sont possibles, et avec de nombreux efforts bien sur, réalisables.

Rédigé par Manon ROUBERT, LinkedIn

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Crédit illustration : Léovanie DAS, LinkedIn

(1) leparisien.fr, Macron veut durcir les sanctions contre la pédopornographie, 20 novembre 2019

(2) ohchr.org, Rapporteuse spéciale sur la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants

(3) Fighting the Good Fight Against Online Child Sexual Abuse, By GABRIEL J.X. DANCE, DEC. 23, 2019

(4) Répertoire des traités des Nations Unies treaties.un.org 

(5) lefigaro.fr Le tourisme sexuel n’attire pas que des «hommes blancs, riches et d’âge mûr» par Caroline Piquet

(6) lefigaro.fr Suède: un site pour dénoncer le tourisme sexuel

(7) lepoint.fr Exploitation sexuelle des mineurs : que dit le droit ? Par Laurence Neuer 

(8) Poulin Richard, 2003, « Prostitution, crime organisé et marchandisation », Revue Tiers Monde, no 176, p. 735-769

(9) Site Internet de l’association Agir Contre la Prostitution des Enfants, acpe-asso.org 

(10) Marcovich Malka, 2006, « La traite des femmes dans le monde », Le livre noir de la condition des femmes, C. Ockrent éd., Paris, XO, p. 449-490.

(11) La mondialisation des industries du sexe, par Richard Poulin